Le VEGF a des rôles physiologiques et physiopathologiques

Les différentes vies du VEGF

Ce qu'il faut, tout ce qu'il faut, juste ce qu'il faut.

D’après un article de Magali Saint-Geniez et Patricia A. D’Amore, Schepens Eye Research Institute, Massachusetts Eye and Ear Department of Ophthalmology, Harvard Medical School, Boston, MA, USA.

Le 18 juillet 2016

Le rôle clé du VEGF dans les yeux adultes normaux est de plus en plus mis en évidence, et l’ophtalmologiste doit rester prudent dans l’utilisation des anti-VEGF. Bien que ces agents soient très efficaces sur les néovascularisations oculaires (ils ont été découverts pour leur rôle pro-vasculaire au sein des tumeurs 1), avec une action sur les œdèmes (le VEGF augmente la perméabilité vasculaire 2), un traitement anti-VEGF peut interférer avec les rôles physiologiques du VEGF:
Le VEGF est nécessaire pour l’embryogenèse, la cicatrisation des blessures, la formation du corps jaune lors de l’ovulation, et la formation du placenta.3

Les anti-VEGF ont été utilisés en cancérologie, pour limiter le développement des tumeurs et des métastases. Depuis les années 2000, les anti-VEGF ont été utilisés pour les pathologies néovasculaires de l’œil, en particulier les rétinopathies diabétiques et la DMLA. Une utilisation a aussi été proposée dans la néovascularisation des prématurés. Mais le VEGF joue aussi un rôle non vasculaire.

En 2006, il a été montré que le VEGF était présent dans tous les tissus, même ceux qui n’ont aucune angiogenèse. Mais que fait-il dans ces tissus ?

En cas d’éclampsie, les stades précoces sont caractérisés par une HTA et une protéinurie. Le plasma des femmes en pré-éclampsie est riche en VEGFR1. Ce VEGFR1 a une haute affinité pour le VEGF (supérieure à celle que le VEGF a pour son récepteur). Lorsqu’il circule, il capture le VEGF libre, l’empêchant de se lier à son récepteur.
Si on injecte du VEGFR1 à des souris femelles, on peut reproduire les symptômes de l’éclampsie, montrant par-là que la neutralisation du VEGF a des conséquences sur la grossesse.

Ces constatations sont à rapprocher des effets secondaires des anti-VEGF utilisés à forte dose comme traitement adjuvant dans les cancers, par exemple digestifs. Ces effets secondaires sont l’HTA et la protéinurie. Le VEGF joue ici un rôle qui ne se limite plus à la néovascularisation.

Le VEGF dans le rein

Les bases physiopathologiques de ces protéinuries sont maintenant connues : les podocytes rénaux (cellules épithéliales proches des capillaires   glomérulaires) expriment de grandes quantités de VEGF. Le glomérule, comme beaucoup de tissus filtrants (comme le corps ciliaire ou le pancréas) est constitué de capillaires fenêtrés, ce qui veut dire qu’ils présentent des sortes de pores qui augmentent les échanges entre le sang et le tissu rénal. Les chercheurs ont montré que la fenestration des capillaires dépend de la quantité de VEGF produit localement (théoriquement par les cellules épithéliales locales). c’est un effet paracrine.

Le VEGF dans l’œil normal

Le VEGF est produit par tous les tissus oculaires (rétine, cristallin, corps ciliaire) mais quel effet la suppression du VEGF peut-il avoir sur l’œil adulte normal ?

La rétine a beaucoup de cellules qui synthétisent du VEGF : les péricytes et les astrocytes (dans la couche des cellules ganglionnaires), les cellules de Müller et l’épithélium pigmentaire. Mais le fait que le VEGF soit synthétisé localement ne veut pas forcément dire qu’il y joue un rôle : encore faut-il y trouver des récepteurs pour ce VEGF.
Il a été démontré que de nombreuses cellules rétiniennes synthétisent du VEGFR2 : l’endothélium des capillaires de la rétine, de la choroïde, du corps ciliaire, mais aussi les cellules de Müller et même les photorécepteurs.
La présence simultanée de VEGF et de VEGFR2 suggère fortement que ce facteur pourrait être impliqué dans la fonction rétinienne, et/ou dans le maintien de son intégrité.

Pour explorer cette hypothèse, les auteurs ont injecté à des souris des adénovirus produisant du FLT (un facteur responsable de pré-éclampsie chez la souris). Les adénovirus ont un tropisme pour le foie. Le foie devient un fort producteur de FLT, ce qui neutralise l’effet du VEGF dans plusieurs tissus.
Après 2 semaines de neutralisation du VEGF, l’histologie de la rétine a montré des dégâts cellulaires et des morts cellulaires dans la rétine interne et externe. A 28 jours, l’examen a montré un amincissement rétinien, une baisse d’acuité visuelle, confirmés par une réduction des ondes α et β à l’électro-rétinogramme. Ces observations sont explicables par la distribution du VEGF et de ses récepteurs:
Produits par les cellules de Müller, le VEGF est un facteur de survie, non seulement pour les cellules de Müller, mais pour les cellules voisines (les photorécepteurs). Le VEGF semble donc être un signal paracrine et autocrine. Cette hypothèse est confirmée par des analyses tissulaires complémentaires qui ont montré que des photorécepteurs en culture déficitaire en nutriments mourraient à moins d’être protégées par une addition de VEGF dans le milieu de culture.

En utilisant le même modèle de souris hyper-exprimant le SFLT-1 les auteurs ont étudié l’effet du blocage du VEGF sur le corps ciliaire 4. Le corps ciliaire produit de l’humeur aqueuse et influence l’accommodation. Chaque procès ciliaire est une structure de capillaires fenêtrés recouverts d’une double couche d’épithélium : un épithélium pigmentaire interne et un épithélium externe, non pigmenté. Le VEGF est produit par l’épithélium pigmentaire, alors que le récepteur VEGFR2 est retrouvé dans les capillaires, et sur l’épithélium non pigmentaire. Les souris dont le VEGF est diminué souffrent de dégénérescence de l’épithélium non pigmenté et des capillaires des procès ciliaires. On retrouve des vacuoles (possible autophagie) un amincissement de l’épithélium, une perte des fenestrations des capillaires, des micro-thromboses. Cette dégénérescence était associée avec une altération de la fonction du corps ciliaire, comme une baisse de pression intraoculaire. Ces observations sont semblables à ce qui se passe dans les plexus choroïdiens cérébraux des souris dont le VEGF est inhibé 5. Comme le corps ciliaire, la choroïde cérébrale est un plexus qui sécrète du liquide céphalo-rachidien, et est composé de capillaires fenêtrés, couverts d’un épithélium pigmentaire, produisant du VEGF.

Les auteurs ont aussi exploré la fonction du VEGF produit par l’épithélium pigmentaire rétinien 6. Ce dernier, ainsi que l’endothélium tapissant la chorio-capillaire expriment le VEGFR2. Cette structure suggère que le VEGF produit par les cellules de l’épithélium pigmentaire ont un rôle autocrine (dans l’épithélium pigmentaire) et paracrine (sur la choroïde). Pour tester si le VEGF de l’épithélium pigmentaire rétinien est important pour l’homéostasie de la chorio-capillaire, les auteurs ont utilisé un modèle de souris dans lequel le VEGF produit par la rétine et l’épithélium pigmentaire ne peuvent pas atteindre la chorio-capillaire, tout en pouvant agir sur l’épithélium pigmentaire.

Pour comprendre cette expérience, il est important de savoir que ces souris produisent 3 isoformes de poids moléculaire différent. L’isoforme le plus long (VEGF 188) est très chargé (électriquement), et il ne peut guère s’éloigner de l’épithélium pigmentaire après sa sécrétion sur place. Les cellules de l’épithélium pigmentaire ne produisent pas de VEGF 188 normalement. Il produit plus de formes facilement diffusibles : VEGF 120 et VEGF 164. Ce qui est logique, si le VEGF doit atteindre la chorio-capillaire de l’autre côté de la membrane de Bruch.

Les auteurs ont modifié génétiquement les souris pour qu’elles ne puissent produire que du VEGF 188. Ces souris ont développé des dégénérescences liées à l’âge, avec atteinte de la chorio-capillaire, et l’épithélium pigmentaire. Lorsque les souris sont âgées, des dégénérescences de l’épithélium pigmentaire, de la choroïde, et des photorécepteurs ont été observées. Ces lésions étaient semblables à celles observées dans la DMLA atrophique chez l’homme.

Implications pour la Thérapie Anti-VEGF

Quelles sont les conséquences de ces expérimentations sur l’utilisation des anti-VEGF intra-vitréens ? Il est important de préciser que les résultats expérimentaux décrits ci-dessus sont obtenus dans des modèles expérimentaux, qui impliquent un blocage continu et important du VEGF. Cela contraste avec la situation clinique où les anticorps anti-VEGF injectés en intra-vitréen diminuent assez rapidement : les demi-vies sont de 5,6 jours pour le Bevacizumab, 3,2 jours pour le Ranibizumab, et 4,8 jours pour l’Aflibercept.
Les traitements anti-VEGF ne sont injectés que toutes les 4 à 12 semaines. Ainsi, en clinique, la neutralisation du VEGF peut être totale, mais à court terme. La restauration d’un effet physiologique (et pathologique) du VEGF chez les patients traités par anti-VEGF rendent compte du fait que les effets secondaires sont rares (ou mettent un longtemps pour apparaitre). L’effet pathologique du VEGF est aussi rétabli, ce qui explique que la diffusion et la perte visuelle rechute, ce qui nécessite un retraitement par anti-VEGF.

Les découvertes sur les souris soulèvent néanmoins des questions sur le traitement chronique par anti-VEGF. Il y a des preuves croissantes qu’un traitement par anti-VEGF à long terme pourrait avoir des effets secondaires indésirables. La perte des photorécepteurs (et de la vision) chez des patients traités par des agents anti-VEGF en l’absence de néovascularisation a conduit à l’hypothèse que ces produits peuvent interférer avec l’effet neuro-protecteur du VEGF 7.

Ainsi des examens en OCT faits 6 à 12 mois après le début des traitements mensuels a montré un amincissement de la choroïde, alors que les témoins n’avaient pas d’amincissement choroïdien après 6 mois 8. De même, un amincissement de la couche des fibres nerveuses (RNFL) a été retrouvé après traitement par anti-VEGF 9. Cette atteinte peut être ennuyeuse lorsque la DMLA est associée avec un glaucome où les fibres nerveuses sont déjà affectées.

L’efficacité des anti-VEGF sur les néovascularisations et l’œdème est incontestablement un progrès qui a changé la vie des patients et des médecins. Néanmoins, les expérimentations animales et les examens cliniques indiquent que les rôles physiologiques du VEGF doivent être pris en compte. Le rythme de traitement doit être décidé en fonction des besoins, ce qui semble indiquer que le PRN ou Treat and extend serait préférable aux traitements mensuels systématiques. Les données des auteurs indiquent qu’il faudrait se méfier d’un traitement continu par anti-VEGF : le but serait de limiter les effets pathologiques, tout en maintenant un rôle physiologique.

 

Bibliographie

  1. DW Leung, G Cachianes, WJ Kuang, et al., “Vascular endothelial growth factor is a secreted angiogenic mitogen”, Science, 246(4935), 1306–9 (1989).
  2. DR Senger, SJ Galli, AM Dvorak, et al., “Tumor cells secrete a vascular permeability factor tha promotes accumulation of ascites fluid”, Science, 219(4587), 983–5 (1983).
  3. PJ Keck, SD Hauser, G Krivi, et al., “Vascular permeability factor, an endothelial cell mitogen related to PDGF”, Science, 246(4935), 1309–12 (1989).
  4. KM Ford, M Saint-Geniez, TE Walshe, PA D’Amore, “Expression and role of VEGF-A in the ciliary body”, Invest Ophthalmol Vis Sci., 53, 7520–7527(2012).
  5. ASR Maharaj, TE Walshe, M Saint-Geniez, et al., “VEGF and TGF-β are required for the maintenance of the choroid plexus and ependyma”, J Exp Med., 205(2), 491–501 (2008).
  6. M Saint-Geniez, T Kurihara, E Sekiyama, et al., “An essential role for RPE- derived soluble VEGF in the maintenance of the choriocapillaris”, Proc Natl Acad Sci USA, 106, 18751–6 (2009).
  7. PJ Rosenfeld, H Shapiro, L Tuomi, et al., “Characteristics of patients losing vision after 2 years of monthly dosing in the phase III ranibizumab clinical trials”, Ophthalmology, 118, 523–530 (2011).
  8. L Branchini, C Regatieri, M Adhi, et al., “Effect of intravitreous anti-vascular endothelial growth factor therapy on choroidal thickness in neovascular age-related macular degeneration using spectral-domain optical coherence tomography”, JAMA Ophthalmol., 131, 693–694 (2013).
  9. M Martinez-de-la-Casa, A Ruiz-Calvo, F Saenz-Frances, et al., “Retinal nerve fiber layer thickness changes in patients with age-related macular degeneration treated with intravitreal ranibizumab.” Invest Ophthalmol Vis Sci., 53, 6214–621 (2012).