Entretien

Rencontre avec le Dr Thibaud Mathis, Professeur Associé, Hospices Civils de Lyon, Président de la SFR

Le 30 novembre 2023

Thibaud Mathis exerce à l’Hôpital de la Croix Rousse (Hospices Civils de Lyon) et il est Professeur Associé à l’Université de Lyon. Passionné par sa spécialité, par « la diversité des pathologies que nous pouvons prendre en charge », il est aussi Président de la Société Française de Rétine (SFR). Il croit à l’IA et à la complémentarité indispensable entre l’homme et la machine. Rencontre.

Voir l’interview en vidéo en suivant ce lien.

 

On ne devient pas ophtalmologiste par hasard. Pourquoi avez-vous choisi cette spécialité ?

Thibaud Mathis. Je voulais faire de la chirurgie, mais mon appétence pour la médecine m’empêchait de choisir une spécialité centrée uniquement sur le bloc opératoire. Au fur et à mesure des stages d’externat j’ai découvert la microchirurgie et les possibilités infinies de réaliser des gestes de plus en plus petits sur un organe. Par ailleurs, j’aime comprendre ce qu’il se passe en pathologie, la multitude des moyens d’explorations possible en ophtalmologie a fini de me convaincre. Nous sommes de véritables techniciens oculaires !

Quelles sont les  qualités humaines et/ou professionnelles qui distinguent un ophtalmologiste d’un autre spécialiste ?

Thibaud Mathis. L’empathie est une qualité indéniable et primordiale dans notre profession. Nous avons en consultation des patients très angoissés par leur vision et la peur de la cécité. D’ailleurs, un sondage récent réalisé par l’OMS a montré que la perte de la fonction visuelle était la première crainte de maladie dans la population, devant même le diagnostic d’une pathologie cancéreuse ! Nous devons donc rassurer, expliquer et accompagner nos patients face à leurs pathologies.

La deuxième qualité est la capacité à être multitâche : clinicien, chirurgien, radiologue, manager… cela rend notre métier riche et passionnant, mais peut être vécu comme épuisant et stressant selon nos appétences pour l’une ou l’autre de ces activités.

Enfin la dernière qualité, parmi tant d’autres est la modernité. L’ophtalmologiste se doit d’être un médecin moderne. L’ampleur des avancées diagnostiques et thérapeutiques qu’a connu l’ophtalmologie ces dernières années et les challenges futurs nous forcent à remettre en question nos pratiques et à nous adapter aux nouveaux paradigmes.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus aujourd’hui dans votre profession et, plus largement, dans l’ophtalmologie ?

Thibaud Mathis. Ce qui me passionne en Ophtalmologie, c’est la diversité des pathologies que nous pouvons prendre en charge : pathologie du vieillissement, traumatologie, médecine interne, neurologie… Nous sommes à la croisée de beaucoup de spécialité et nous avons aussi nos propres pathologies : glaucome, dystrophie cornéenne ou rétinienne, etc.

Cette richesse des pathologies que nous traitons nous oblige à rester constamment informés des avancées dans notre spécialité, mais aussi pour l’ensemble de la médecine.

Vous êtes aussi président de la Société Française de Rétine. Qu’est-ce qui a motivé votre implication, votre engagement à la tête d’une organisation professionnelle ?

Thibaud Mathis. Prendre la présidence de cette société a été un honneur et une fierté partagée avec mes collègues rétinologues. J’ai toujours aimé le milieu associatif : servir ma spécialité, organiser des événements, partager des moments privilégiés avec les autres membres.

Cependant la Société Française de Rétine est un monument, plus ancienne société savante de rétine en France, et de grands noms de la rétine y sont associés. Je n’ai pas la prétention d’arriver même à leur cheville, mais modestement, je souhaiterais faire évoluer cette société dans cette nouvelle ère dans laquelle nous rentrons, afin de répondre aux différents enjeux futurs.

Innovant par nature, le domaine de l’ophtalmologie n’en finit pas d’évoluer. Quelle pourrait être selon vous l’innovation, voire la révolution, qui pourrait voir le jour d’ici 5 ans ?

Thibaud Mathis. Je pense à beaucoup de révolutions thérapeutiques : la thérapie génique, la régénérescence neuronale, … toutes ces évolutions nous sont promises depuis des dizaines d’années et semblent de plus en plus proches. Néanmoins, 5 ans semblent trop justes pour assister à ces évolutions thérapeutiques dans nos pratiques quotidiennes.

En revanche, je pense que nous sommes en train d’assister à une révolution majeure dans l’utilisation de l’intelligence artificielle. Aide au diagnostic, à la décision thérapeutique, à la prévention des maladies oculaires… le champ des possibilités est infini. Pourtant beaucoup d’entre nous se voilent la face sur ces avancées futures, peut être par peur ou incompréhension des mécanismes/algorithmes qui sous-tendent ces logiciels. Faudra-t-il être développeur informatique pour être ophtalmologiste dans le futur ? Certainement pas ! Je prends toujours l’exemple de l’aviation : qui accepterait de nos jours d’effectuer un vol Paris – New York sans la présence d’un pilote automatique à bord de l’avion ? A contrario, qui accepterait d’effectuer ce même vol sans pilote humain ?

Nous sommes donc complémentaires. La machine est une aide cruciale à la prise de décision et un garde-fou indéniable. L’IA qui s’annonce en Ophtalmologie sera notre pilote automatique, nous suivrons ses décisions ou non, mais resterons le seul capitaine à bord.

Si vous pouviez faire un vœu, quel serait-il ?

Thibaud Mathis. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère aussi bien diagnostique que thérapeutique. Nous le voyons dans nos pratiques, où notre démarche clinique est plus orientée vers nos écrans de consultation que sur l’examen du patient. Dans ce contexte, je fais le vœu de garder ce pourquoi nous avons choisi ce métier : l’écoute et le soin centré sur le patient. Ce sont ces qualités humaines qui nous distinguerons des machines.

Un mot pour la fin ?

Thibaud Mathis. Je vous invite tous à notre réunion annuelle les 27 et 28 janvier lors du congrès de la SFRétine. Nous parlerons bien évidemment des dernières avancées dans ces domaines, dont l’IA. Nous aurons aussi des sessions plus axées sur la pédagogie et l’expérience par les cas cliniques. J’espère vous y retrouver nombreux !